Création de monstres, de monstres en virus : propos autour d’une démarche artistique confinée




Récemment j’ai commencé à créer des créatures, certains diront des monstres. Ces chimères sont bien évidemment le fruit de mon imagination mais surtout d’un besoin de renouveau, apparu lors du confinement (1). Le confinement a littéralement été pour moi une occasion de sortir de ma zone de confort, de mon chez moi (2).
Un besoin d’évasion tant physique que mental, voire plus mental que physique, la réalité voulant que l’on reste à la maison. Rétrospectivement, je me rends compte que cette nouvelle créativité est en lien avec le virus, plus que le confinement (conséquence du virus) ; il s’agissait d’appréhender la « monstruosité » de cette pandémie. Un cheminement inconscient dont je me suis aperçue lorsque j’ai voulu décrire mes créatures. Ainsi, je vais mettre en parallèle processus créatif et COVID-19, le tout dans un ordre chronologique.
(1) A titre informatif, je ne suis plus actuellement entrain de créer des monstres, j’ai pour projet la déesse de la Renommée.
(2) Sachez également que personne autour de moi ni moi-même n’avons été victimes du COVID, je n’ai vécu que le confinement. Mes propos tourneront donc autour de cette période et n’ont aucune autre vocation que la description et le contexte entourant mes œuvres.
La naissance timide du monstre : début de la pandémie

Lorsque j’ai débuté ma première chimère, mon intention était de créer des animaux plausibles, cohérents en ce sens qu’ils ne détonneraient pas et qu’on pourrait finalement se dire que oui, ils existent. Une petite touche d’excentricité comme le Marsupilami de Franquin que je considère comme possible, si on fait exception de son appendice caudal en ressort. C’est dans ces conditions qu’est né l’ Hippopoulet , Chicksea Horse. Si l’on observe cet individu, il s’agit finalement ni plus ni moins que d’une poule avec une tête bizarre. Je me suis amusée à l’imaginer comme animal du littoral dont on ne sait si l’évolution le fait venir ou aller à la mer. Phénomène de confusion encore renforcé par le fait que la communauté scientifique chercherait encore à le classer dans les oiseaux (poules) ou les poissons (hippocampe)…
Lors de ma réflexion, je me suis ainsi attachée à combiner au mieux deux animaux existants. J’ai donc mixé le corps d’un coq avec le corps et la tête d’un hippocampe. En effet, le cou et la tête de la poule ressemble à l’hippocampe si l’on exclut sa queue qui s’enroule : le corps fait office de cou tandis que son « nez » (« museau ») peut être comparé au bec du volatile. Cette première création est donc un timide première essai dans un nouveau monde fantastique et reste définitivement tournée vers le réalisme.
Le monstre « confiné » par le masque : milieu du confinement

Mon deuxième monstre est quand à lui une Sauterelle Paon (Locust Peacock) avec un bec proéminent de héron. Au même moment, j’ai vu fleurir sur Instagram des représentations de masques des médecins de la peste, ceux en forme de bec d’oiseaux, utilisés à la Renaissance pour lutter contre cette pandémie qu’était la peste bubonique. J’ai immédiatement constaté que certes, il avait un bec de héron, mais celui ci ressemblait clairement à ces masques emblématiques. On fait clairement le lien avec le Coronavirus où le masque est utilisé pour contrecarrer une pandémie, plus efficacement cette fois-ci…


Lors de ma troisième création, j’ai pris le sujet du masque au pied de la lettre en faisant une sorte d’animal totem d’Ours masqué (Masked Bear). Ce masque étant physiquement représenté par un masque de plongée et métaphoriquement par la tête de mandrill dont j’ai affublé cet ours. Les mandrills sont en effet connus et reconnaissables par leur visage coloré. Pensons à Rafiki dans le Roi Lion de Disney, sorte de chaman excentrique prédisant l’avenir. Le mandrill préviendrait ici d’un avenir où le masque est obligatoire et devient l’emblème, le totem de cette crise sanitaire, d’où l’animal totem masqué.

Le monstre « déconfiné » du nouveau monde : fin du confinement, déconfinement et avenir avec ce virus « libre »

Quant à elle, ma dernière création, le Crowned Garou, est un crocodile à crinière de lion avec un corps humanoïde, au moins pour ce qui est du torse et des mains, les pattes étant celles d’un kangourou. “Garou” sans que ce soit un loup, c’est un jeu de mots entre le Kangourou et le côté humanoïde. Bref, j’en étais au milieu du dessin lorsque je me suis rendue compte que cette créature pourrait être -humblement- une représentation de la déesse Ammout. Il s’agit dans l’Egypte antique de la déesse dévoreuse d’âmes qui accompagne Mâat lorsque celle-ci pèse l’âme des défunts. Celui jugé indigne de continuer à vivre dans l’au-delà est dévoré par Ammout. Effrayant n’est-ce pas.
Lors de cette réalisation, nous étions en fin de confinement et glissions progressivement vers le déconfinement. Cette période qui pouvait sembler salvatrice l’est elle vraiment, le virus circulant toujours ? Je pense qu’il s’agit ici d’une forme de parallèle avec la fin d’un monde vers un nouveau monde (déconfiné mais avec le virus circulant), expression ô combien entendue. Il s’agirait donc d’une forme de jugement : allons nous réussir dans ce nouveau contexte à passer, à survivre où allons nous être dévorés par ce monstre ? Je pense qu’il faut voir dans cette oeuvre une forme d’introspection et d’acceptation de notre impuissance actuelle ; j’attends de voir ce qui se passe, que le temps face son œuvre. Cette sensation est encore renforcée par l’omniprésence de yeux portés par le crocodile lion.
Ainsi, cette soudaine envie d’évasion s’avèrait dans les faits très terre à terre, ancrée dans la réalité contemporaine de cette pandémie : monstres et virus, masques, avenir du monde redistribué par le virus.
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